En 1805, la première constitution d’Haïti établissait quatre « fêtes nationales » dont celles de l’indépendance et de l’agriculture qui ont survécu aux intempéries conjoncturelles. Il arriva que l’on voulût s’adonner au culte de la personnalité qu’invoquait « la fête de l’Empereur et de son épouse » car, bien de présidents de la République la remplacèrent par la leur. Cependant, on laissa tomber dans l’oubli la dernière. Dieu seul sait, celle qui nous aurait été probablement des plus utiles : la fête de la constitution.
Certes, à aucun moment, l’idée d’une telle fête nationale n’aurait pu naître à l’esprit de ceux qui ne comptaient se servir de la constitution que pour prendre le pouvoir ou s’y maintenir. La déclaration de notre indépendance signifiait aux autres nations du monde l’existence de la nôtre. Il fallait que notre indépendance soit glorifiée. Et, l’élaboration d’une charte fondamentale devait nous préserver les uns des abus des autres en imposant l’intérêt général aux desiderata personnels.
Vue son importance, il eut fallu que notre constitution soit honorée comme c’est le cas d’en bien de pays. Le jour de la constitution haïtienne depuis 1805 aurait été parmi les plus anciennes après celui des Etats-Unis qui est célébré le 17 septembre depuis 1787 et celui de la Pologne fixé depuis 1791 au 3 mai. Plus près de nous, la République Dominicaine honore ce jour depuis le 6 novembre 1844. Mais, à quelle date aurions-nous porté cette commémoration magnifique ? Car, nos changements fréquents rendaient la chose difficile à déterminer et les évènements entourant ces nouvelles constitutions en ternissaient tout le vernis.
En effet, les gagnants des incessantes luttes politiques décidaient souvent de marquer leur mainmise sur le pays par le biais d’une nouvelle constitution. Alors, ils célébraient leur victoire par une fête nationale particulière, bien qu’elle risquât d’être aussi périssable que leur règne. Tel fut le cas de la fête de la régénération en 1843 après la chute de Boyer, ou celle de l’institution de l’empire en 1849 qui fut remplacée par l’éphémère fête de la restauration de la République en 1859, après la chute de Faustin 1er.
Mais nul ne songea à faire de la constitution haïtienne un instrument fondamental et durable dont l’application commande le respect parce qu’il garantit le bonheur du peuple et la stabilité du pays. Cette fête de la constitution que proposait la constitution de 1805 semblait découler de cette compréhension primordiale mais, en vain ; cette célébration demeurât mort-née.
Par ailleurs, qu’on le veuille ou non, l’occupation américaine constitue une période charnière dans l’histoire haïtienne. Aussi, peut-on comprendre qu’en 1935, pour marquer la désoccupation, une fête de la restauration des droits du peuple haïtien fut fixée au 21 août. N’y-avait-il pas là des leçons à tirer ? Cependant, elle ne fut point maintenue, et pour cause… On ne peut oublier que la constitution de 1932 avait déjà affecté le 18 mai à la fête du drapeau ; et plus tard, en vertu du panaméricanisme d’alors, la constitution de 1950 inscrivit celle de la découverte d’Haïti. Mais, toujours pas de fête de la constitution.
Finalement, les membres de l’assemblée constituante de 1987 devaient retenir les cinq fêtes nationales actuelles : le 1er et le 2 janvier ; le 1er ainsi que le 18 mai ; puis, le 18 novembre. Ainsi, la découverte d’Haïti fut écartée ainsi que les dates notoires de la dictature duvaliériste, des 22 mai et juin. Ce faisant, même ces valeureux citoyens dont l’œuvre devait stipuler les nouveaux principes fondamentaux, particulièrement calibrés en vue de bien mener la barque nationale, n’avaient pensé à une fête de la constitution qu’ils auraient pu eux-mêmes fixer à la date du jour de cette signature mémorable.
Néanmoins, ils marqueraient l’édification des fêtes nationales. Ils jumelèrent une fête de l’université à celle du drapeau, à l’instar de la constitution de 1957 qui liait la fête du travail à l’une des plus anciennes, celle de l’agriculture. De plus, ils y apportèrent une autre modification qui semblait, à ce moment-là, plutôt anodine.
En fait, les constituants de 1987 modifièrent l’article de la constitution de 1983 relatif aux fêtes nationales qui se lisait comme suit : « la commémoration de l’anniversaire de la Bataille de Vertières, le 18 novembre qui est également le jour des Forces Armées » (art. 215). Auraient-ils modifié, en quelque sorte, le sens véritable de l’article en désignant le 18 novembre comme date de « la commémoration de la Bataille de Vertières, Jour des Forces Armées » (art. 275-1) ? On retiendra l’importance d’une toute petite virgule, surtout en matière constitutionnelle. Quel est le but de cette mise en apposition ?
En réalité, c’est la constitution de 1957 qui avait fixé à la date du 18 novembre (art. 183), une nouvelle fête nationale qui allait recueillir la vénération de tout Haïtien nationaliste. Pourtant, c’est à la faveur de cette même constitution qu’accèderait au pouvoir celui qui mettrait en place un régime qui allait durer au-delà d’un quart de siècle. D’où, le grand intérêt d’une lecture attentive des multiples constitutions haïtiennes. Ce travail civique dévoilera autant les manquements des uns que les errements des autres : les démagogies des despotes paternalistes, les maldonnes zélés des esprits bien intentionnés, et les ruses des usurpateurs haut placés.
Il en ressortira aussi les grands changements des valeurs adoptées en différentes époques. De nouvelles idées guident et influencent des générations qui se succèdent sans se ressembler ; elles suscitent d’autres convictions qui s’opposent. En ce sens, la question de l’armée est devenue avec celle de l’application de la constitution, les premières parmi les questions les plus épineuses auxquelles la société haïtienne doit, à l’heure actuelle, apporter des solutions urgentes et adéquates. Trente ans plus tard, la survie de la nation en dépend et l’avenir de cette démocratie boiteuse parait encore sombre.
Est-ce pourquoi, une constitution ne devrait s’aventurer à préciser des détails dont les nuances relèveraient surtout des lois, plus aptes à être modifiées en vue de répondre rapidement et efficacement aux nouveaux besoins imprévisibles des générations nouvelles, car elle ouvre le flanc à une déclaration d’amender. Aujourd’hui, il nous faut abolir l’oppression sous toutes ses formes. L’ère des baïonnettes est révolue. Et, il est temps pour nous d’honorer le noble parchemin qu’est la constitution, garde-fou contre toutes les dérives despotiques, les tendances à la dictature, et même les coups de force parlementaires.
Certes, les fêtes nationales ont une grande importance car, au fil du temps et par leur célébration annuelle, elles s’incrustent silencieusement dans le cœur des gens, s’installent définitivement dans les mœurs du peuple et touchent profondément le corps national. Les fondateurs de la nation haïtienne l’avait bien compris en prescrivant une fête de la constitution lors de l’élaboration de la constitution impériale de 1805.
Aussi, une nouvelle proposition d’ajouter le jour de la constitution comme sixième fête nationale ne pourrait-elle être mise en discussion lors de la prochaine révision constitutionnelle ? Ce serait mettre la pendule nationale à l’heure, elle accuse du retard depuis 1805. Et, déjà une date à envisager serait bien celle du 29 mars – un témoignage de respect pour honorer cette constitution qui devait marquer, somme toute, une nouvelle ère pour Haïti par l’ouverture de notre monde politique vers la démocratie. La justification va de soi. Car, en toutes choses il demeure vrai qu’hors le premier pas, il n’y a pas d’avenir.