La majorité des écoles restant fermées à cause de la crise politique qui paralyse le pays depuis deux mois, nombre d’adolescents haïtiens sont désœuvrés et des parents s’improvisent professeurs tout en gérant les angoisses des plus jeunes face aux violences des rues.
« Je vais à tâtons, je ne sais pas comment faire les choses », confie Edine Célestin, livret d’apprentissage de la lecture en main. « On pense que c’est facile, mais on réalise après que l’enfant n’a pas compris et il faut refaire trois ou quatre fois la même leçon ».
Depuis septembre, elle veille à faire travailler chaque jour sa fille de cinq ans. Entre sa chambre et le salon devenant salle de classe, la petite Lyne-Renée est en proie à l’ennui: elle ne sort plus du domicile en raison des risques de débordements violents dans les rues.
« Elle doit savoir un peu lire et écrire pour pouvoir avoir une admission en primaire l’an prochain. Les inscriptions se font dès janvier et février: on a beaucoup de pain sur la planche », s’inquiète Edine, sachant combien les places dans les meilleures écoles privées sont prisées.
Manquant cruellement de moyens et d’enseignants, les établissements scolaires publics d’Haïti ne sont en capacité d’accueillir qu’un tiers seulement des élèves, les autres deux tiers étant scolarisés dans le privé.
Depuis août, les manifestations répétées contre le président Jovenel Moïse, les barricades dressées à travers les rues et l’intensification des activités des gangs armés poussent près de 70 % des établissements scolaires à garder portes closes, selon l’Unicef et l’UNESCO.
Rentrée en décembre ou mi-janvier
« Le directeur de l’école nous a dit plusieurs fois “venez ce lundi pour travailler un peu” », raconte Reevens Bosquet qui, à 20 ans, attend encore de pouvoir faire sa rentrée en classe de seconde. « Quand on arrive, les professeurs ne sont pas là, il n’y a que le directeur avec cinq à dix élèves ».
Le ministre de l’Éducation, Pierre Josué Agenor Cadet, a expliqué jeudi à l’AFP que « deux calendriers remaniés » avaient été établis, « prévoyant une rentrée le 2 décembre ou sinon la deuxième semaine de janvier, avec un rallongement de l’année scolaire jusqu’à fin juillet au lieu de juin ».
Malgré ces annonces, Samy Janvier, un habitant de la commune de Delmas, est incapable de dire à sa fille de 8 ans quand elle pourra retrouver ses camarades de classe, tout comme il peine à formuler les raisons de sa déscolarisation.
« On aimerait bien expliquer à nos enfants que c’est à cause de la révolution, mais en réalité la révolution on ne la voit pas poindre à l’horizon », déplore-t-il tout en faisant faire des additions à sa fille Samara, sous le regard attentif de Samy Junior, 2 ans.
« Certains parents sont mieux lotis et ont les moyens de faire quelque chose avec leurs enfants, mais je pense aux parents qui n’ont pas été à l’école et qui ne savent ni lire ni écrire », soupire le fonctionnaire.
S’il s’inquiète de la régression du niveau scolaire de Samara, les angoisses quotidiennes de sa fille sont encore plus compliquées à vivre.
« Quand sa mère va travailler, elle a très peur. Elle pleure parce qu’elle dit ”on va écraser la voiture de ma maman, on va tirer sur ma maman”. C’est ce qui est le plus triste, que des enfants soient obligés de s’impliquer dans des situations telles », déplore M. Janvier.
Le bilan dressé par l’ONU début novembre faisant état d’au moins 42 morts et 86 blessés, l’escalade des tensions depuis mi-septembre a convaincu certains parents des classes moyennes et aisées à envoyer leurs enfants étudier à l’étranger.
« Ma fille a passé ses vacances d’été aux États-Unis, elle a des amis qui ont repris l’école depuis août. Elle sait qu’il existe d’autres possibilités et elle ne comprend pas que nous ne les envisagions pas encore », conclut Samy, guère optimistes sur l’avenir à court terme de son pays.
AFP