Le récent bannissement du compte TikTok de la cheffe Leen a ravivé un souvenir collectif : celui d’une campagne lancée par une frange de l’opposition pour « unfollow » le compte Twitter de Jovenel Moïse. À l’époque, la radio Zénith se faisait l’écho dans une atmosphère euphorique. Tout a été fait pour faire de ce geste symbolique un moyen de déstabilisation.
Cependant, derrière ce boycottage numérique, une question profonde émerge : pourquoi certaines voix sont-elles immédiatement censurées ou mises à l’index, tandis que d’autres, bien plus toxiques, prospèrent librement ?
Le peuple haïtien a cette fougue, parfois glorieuse, souvent tragique, de s’en prendre avec ardeur à ses propres créations. Prenons le mouvement « Kita Nago » en exemple ! Devenu le symbole d’unité et de solidarité nationale, porté aux bras à travers le pays. Le prétendu bois sacré a fini sa course lors d’un incendie volontaire à un musée de Ouanaminthe – brûlé par les bras qui l’ont porté.
Toutefois, ce paradoxe haïtien se reflète aussi dans l’univers numérique. Comment expliquer que les comptes X des figures controversées dont André Michel, Michel Joseph Martelly, Youri Latortue, Don Kato ou encore Dimitri Vorbe, Laurent Lamothe, Moise Jean-Charles, les membres du CPT, Reginald Boulos entre autres sont épargnés. Et que dire des chefs de gang qui, en dépit de leurs actes criminels et de leur implication consciente ou non dans la détérioration du tissu social, continuent de diffuser leurs messages sur TikTok et Facebook avec le relais de certains médias ?
La censure est-elle vraiment neutre ? Ou elle obéit à une logique de classe, de caste, d’influence, voire de connivence aveugle Si les sanctions politiques devaient s’appuyer sur les réseaux sociaux comme baromètre moral, que dire des architectes de notre effondrement national ?
Nous constatons avec inquiétude que la société haïtienne continue de se battre contre elle-même, brisant ses symboles, applaudissant la chute des voix émergentes et glorifiant le silence, la propagande des puissants. Le temps de l’autodestruction, de la lucidité sélective est révolu. En censurant les faibles sans oser toucher aux racines du mal, on risque de conforter le désordre en rendant l’espoir incertain.